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Les règles sur le contrat de mandat sont applicables à la plupart des contrats de services, qu’elles soient exécutées par une société ou par une personne physique, du moins lorsque les services ne se matérialisent pas (p.ex. ouvrage), auquel cas on parle du contrat d’entreprise. 

Selon la règle assez particulière à la Suisse et peu connue à l’étranger, le mandat peut être révoqué ou répudié en tout temps, mais celle des parties qui révoque ou répudie le contrat en temps inopportun doit toutefois indemniser l’autre du dommage qu’elle lui cause (art. 404 CO). 

Les dispositions contractuelles contraires et la renonciation anticipée au droit de révoquer le mandat en tout temps sont toujours nulles. 

Droit de révocation 

Généralement admis dans la pratique, le principe clausula rebus sic stantibus permet généralement la résiliation immédiate de tout contrat de durée lorsque les rapports de confiance entre les parties sont détruits de telle manière que l’on ne peut plus raisonnablement exiger des parties de continuer l’exécution du contrat. 

Depuis longtemps confirmé par la jurisprudence, le droit à la révocation du mandat en tout temps est garanti par une disposition impérative du Code des Obligations et il n’est par conséquent pas permis aux parties de renoncer à ce droit, ni de punir la partie qui donne la résiliation du seul fait d’avoir usé de ce droit. 

Ce droit appartient non seulement au client (le mandant) mais aussi au fournisseur des services (le mandataire). La justification de cette règle réside dans le fait que le mandataire occupe régulièrement une position de confiance prononcée, et par conséquent que le mandant n’a aucun sens de vouloir maintenir le contrat si la relation de confiance entre les parties est détruite. 

En outre, le droit à la résiliation en tout temps s’applique non seulement aux contrats de mandat classiques, mais également aux contrats mixtes et innomés dont les caractéristiques justifient l’application des règles sur la fin du mandat par analogie. Le droit de révocation s’applique aux mandats onéreux ou gratuits, qu’ils soient hautement personnalisés ou non. 

Justification d’avis de résiliation 

La jurisprudence selon laquelle le droit de révocation immédiat est en tout temps applicable est hautement critiquée dans la doctrine. On observe en effet une pratique commerciale très répandue de soumettre la résiliation du mandat (p.ex. un contrat de consultant) au délai de préavis de résiliation. 

Si la résiliation immédiate peut tout de même produire ses effets, la violation de la durée de la résiliation sera constitutive d’une résiliation en temps inopportun, et ouvrerait ainsi le droit à la réparation du dommage qui en résulte. 

Inversement, la résiliation dans le délai indiqué dans le contrat libère la partie qui notifie la résiliation de son obligation de réparer le dommage qui en découle, parce que l’autre partie consente ainsi à ce qu’une telle résiliation ne sera pas intervenue en temps inopportun. 

Indemnisation pour résiliation 

S’il n’est pas possible de punir ou autrement dissuader une partie de mettre fin au mandat en tout temps, la partie qui notifie la résiliation doit réparer le dommage si la résiliation intervienne en temps inopportun. 

D’ailleurs la jurisprudence considère que la résiliation intervient en temps inopportun en tout cas lorsque la résiliation n’est justifiée par un motif sérieux. Le motif sera sérieux s’il intervient pour des circonstances de nature, d’un point de vue objectif, à rendre insupportable la continuation du contrat (p.ex. rupture du rapport de confiance ou des circonstances extérieures à la partie qui notifie la résiliation) ou pour un motif imputable à l’autre partie. 

Or, l’indemnisation ne concerne pas le gain manqué, soit la perte des recettes que le mandataire pourrait obtenir si le mandait continuait. La partie qui subit le dommage a uniquement le droit à l’indemnisation du dommage qu’elle subit du fait d’avoir conclu le mandat et doit par conséquent être remise dans la situation comme si le mandat n’aurait pas été conclu. 

Exceptionnellement, il est admis que le gain manqué peut être indemnisé lorsque le mandat a été conclu pour une certaine durée et qu’il est établi que la partie dont le contrat est résilié a pris des dispositions pour exécuter ce mandat et, par-là, renonce à d’autres sources de revenus. 

Rémunération et remboursement à la fin du contrat 

Le droit de mettre fin au mandat en tout temps ne libère pas le mandant de ses obligations principales. Le mandant doit rembourser au mandataire, en principal et intérêts, les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution régulière du mandat, et le libérer des obligations par lui contractées (art. 402 al. 1 CO). 

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Un devis est un document émis par un professionnel ou une entreprise qui estime le coût d’un service ou d’un produit demandé par un client. Il comprend généralement une description détaillée du service ou du produit, ainsi que le prix correspondant. Le devis permet au client de connaître à l’avance le budget nécessaire pour réaliser son projet et de comparer les offres de différents prestataires. 

Le devis est également important d’un point de vue juridique car il peut servir de preuve en cas de litige. En Suisse, il est souvent pratiqué par certains types de travaux et de services, notamment ceux réalisés par des professionnels du bâtiment, les artisans, les architectes, les plombiers, etc. Un devis peut également être proposé pour des prestations informatiques, des déménagements, les prestations médicales, etc. 

Un devis, est-il obligatoire ? 

Contrairement aux certains pays, le droit Suisse n’exige pas un devis. Si les deux parties ne conviennent pas d’un prix fixe ou d’un forfait, le prix de l’ouvrage est calculé selon le travail effectué. Si le prix n’a pas été fixé d’avance, ou s’il ne l’a été qu’approximativement, il doit être déterminé d’après la valeur du travail et les dépenses de l’entrepreneur (art. 374 CO). 

Toutefois, un contrat n’est réputé parfait que lorsque le prix est déterminé ou au moins déterminable. La connaissance du taux horaire du prestataire de services est généralement suffisante pour fonder un accord du client de payer le prix au temps passé, au taux horaire. 

Le contrat d’entreprise permet à l’entrepreneur de convenir le paiement d’un devis ou selon un prix fixe. 

Prix au forfait 

Lorsque le prix a été fixé à forfait, l’entrepreneur est tenu d’exécuter l’ouvrage pour la somme fixée, et il ne peut réclamer aucune augmentation, même si l’ouvrage a exigé plus de travail ou de dépenses que ce qui avait été prévu (art. 373 al. 1 CO). 

Le risque du dépassement pèse alors sur l’entrepreneur. Inversement, le client ne saurait demander la réduction du prix si l’entrepreneur a réussi de réaliser les travaux plus vite ou s’il n’a pas encouru autant de frais qu’initialement prévu (art. 373 al. 3 CO). 

Toutefois, si l’exécution de l’ouvrage est empêchée ou rendue difficile à l’excès par des circonstances extraordinaires, impossibles à prévoir, ou exclues par les prévisions qu’ont admises les parties, le juge peut, en vertu de son pouvoir d’appréciation, accorder soit une augmentation du prix stipulé, soit la résiliation du contrat (art. 373 al. 2 CO). 

Le fournisseur dépasse le devis, quoi faire ? 

La question se pose si le client est obligé de payer le prix total selon le décompte final alors qu’il diffère du montant de devis initialement discuté. Ça dépend. 

Lorsque le devis approximatif arrêté avec l’entrepreneur se trouve sans le fait du maître dépassé dans une mesure excessive le maître a le droit, soit pendant, soit après l’exécution, de se départir du contrat (art. 375 al. 1 CO). 

Il est généralement admis qu’un dépassement de 10% n’est pas excessif, allant jusqu’à 15% dans certains cas du secteur du bâtiment. 

Faut-il encore que ce soit un véritable devis et non pas un prix ferme qui ne saurait être dépassé. Le fournisseur de services ne saurait non plus dépasser le plafond de la fourchette si le devis est établi dans ce sens. 

Même si le dépassement est admis, le fournisseur de services doit prouver le montant de frais, des heures effectivement travaillées, et doit en tout cas veiller à dûment informer le client si le dépassement s’avère prévisible. 

Enfin, le devis doit être accepté par le client. Certes l’acceptation de l’offre en forme orale est possible, il vaut mieux contresigner l’offre imprimé à titre de preuve. 

Un devis dépassé dans un contrat de services ? 

Contrairement au contrat d’entreprise qui suppose la réalisation d’un ouvrage, un contrat de services purs (p.ex. mandat) ne connaît pas de telles règles sur le devis. 

Le mandant doit rembourser au mandataire, en principal et intérêts, les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution régulière du mandat, et le libérer des obligations par lui contractées (art. 398 al. 1 CO). 

Les contrats prévoient généralement une exécution au taux horaire ou des budgets estimatifs. Dans un contrat de mandat le dépassement du budget n’est pas problématique, puisque le client (le mandant) n’est guère obligé de payer l’excédent. 

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Le Tribunal fédéral met fin à l’insécurité juridique et confirme ma position exprimée dans l’ouvrage Les société  s de capitaux et leurs actionnaires en droit fiscal suisse.

L’essentiel

Par jugement du 6 juin 2024 le Tribunal fédéral s’est prononcé sur l’absence de règle fiscale correctrice qui permettrait d’imposer le gain sur la revente de propres parts en tant que bénéfice. Il confirme dans cet arrêt 9C_135/2023, concernant l’année fiscale 2015, les points suivants :

Sans contester le respect des normes comptables, l’administration fiscale a reproché au contribuable que ce gain doit néanmoins être imposable, à travers la règle correctrice de l’art. 58 al. 1 let. c LIFD, permettant ainsi de s’écarter du bilan commercial.

Le Tribunal tranche par la négative : l’interprétation de cette disposition ne permet pas de s’écarter du bilan commercial dans de telles circonstances :

Il n’y a pas de valeur patrimoniale en droit commercial en ce qui concerne les actions propres, raison pour laquelle on ne peut pas non plus parler d’un “gain en capital” lors de la réémission de ses propres droits de participation (consid. 5.3).

Après le rappel des faits, dans cette analyse nous exposerons quelles sont les conséquences de la revente d’actions propres par une société, quels étaient les arguments des parties et pourquoi le Tribunal a donné raison au recourant.

Les faits pertinents

Le contribuable est une société holding dont le siège est dans le canton de Zurich. Elle détient les actions du groupe, une entreprise active dans le domaine de la réassurance. Les actions de la contribuable sont cotées à la Bourse suisse.

Entre le 13 et le 15 septembre 2017, l’office cantonal des impôts a contrôlé l’exercice 2015 au domicile de la contribuable. Il a constaté que la contribuable avait inscrit à son bilan des actifs utilisés pour un programme de participation des collaborateurs, qu’elle avait rachetés en 2011 et 2012, non pas comme actifs, mais comme postes négatifs dans les fonds propres. Dans le cadre de l’attribution de ces actifs aux collaborateurs au cours de l’exercice 2015, une différence positive entre la valeur d’attribution et le coût d’acquisition de 65’082’950 francs a été constatée, que la contribuable a compensée avec le poste négatif susmentionné dans les fonds propres et affectée – sans effet sur le résultat – à la réserve légale de capital.

Le 20 mars 2020, l’office cantonal des impôts a fait parvenir à la contribuable une proposition de taxation concernant l’impôt fédéral direct, par laquelle le bénéfice net imposable a été augmenté de la différence entre le coût d’acquisition et la valeur d’attribution des actions utilisées pour le programme de participation des collaborateurs, différence qui n’a pas été comptabilisée dans le résultat. En ce qui concerne l’impôt sur le bénéfice au niveau du Canton et des communes, aucune correction n’a été effectuée, car la contribuable en est exonérée en tant que société holding. Par décision du 1er octobre 2020, l’administration fiscale du canton de Zurich a soumis cette proposition – rejetée par la contribuable – à la taxation.

Par décision du 19 avril 2021, l’administration fiscale du canton de Zurich a rejeté une réclamation déposée par la contribuable le 28 octobre 2020. Par décision du 18 janvier 2022, le tribunal des recours fiscaux du canton de Zurich a rejeté le recours déposé par la contribuable. Le tribunal administratif du canton de Zurich a accepté, par jugement du 11 janvier 2023, le recours contre cette décision, en demandant que le bénéfice imposable soit taxé à 3’577’167’073 francs, conformément à la déclaration, avec une réduction pour participation de 94,45 %.

Par recours en matière de droit public du 9 février 2023, l’Administration fédérale des contributions (AFC) demande à la Cour de justice d’annuler le jugement du Tribunal administratif du canton de Zurich et d’annuler la taxation pour l’impôt fédéral direct 2015 avec un montant imposable de bénéfice net de 3’642’250’000 francs et une réduction pour participation de 92,762 %. Par courrier du 3 mars 2023, l’office des impôts du canton de Zurich propose d’admettre le recours. Par courrier du 24 mars 2023, la contribuable prend position sur la procédure et demande le rejet du recours. L’AFC prend position par lettre du 28 avril 2023, la contribuable par lettre du 19 mai 2023.

En résumé, le point litigieux concerne l’impôt fédéral direct, notamment de savoir si la différence positive entre le prix d’acquisition et le prix de revente d’actions propres constitue un bénéfice imposable, malgré la comptabilisation de la revente sans incidence sur le résultat comptable.

Premier argument de la contribuable : conformité des comptes

La contribuable avance principalement que les comptes sont conformes au droit commercial, en ce sens qu’en absence de résultat comptabilisé, il n’y a pas de bénéfice imposable.

2.1 Traitement comptable du rachat

En effet, et comme le constate déjà l’instance précédente, l’intimée n’a pas comptabilisé dans le compte de résultat la différence positive entre le coût d’acquisition et la valeur d’attribution des actions propres utilisées pour le programme de participation des collaborateurs. Cette méthode de comptabilisation n’est pas critiquable du point de vue du droit commercial et l’organe de révision a attesté dans son rapport du 15 mars 2016 que les comptes étaient conformes à la loi et aux statuts, ce qui n’est pas contesté.

Force est de constater que le droit comptable a fortement évolué au fil des années, d’une part, et que le droit des sociétés et le droit comptable se complètent fermement, d’autre. A l’origine, le législateur avait interdit à la société anonyme de racheter ses propres actions, sous réserve de certaines exceptions (cf. art. 628 aCO de 1881 et art. 659 aCO de 1936[1]).

Depuis le 1er juillet 1992, les sociétés anonymes sont autorisées, dans certaines limites, à acquérir leurs propres actions sans réduire leur capital-actions (cf. art. 659 CO). Du point de vue du droit comptable, les sociétés de capitaux étaient tenues, après la réforme du droit des sociétés anonymes de 1991/1992, d’inscrire à l’actif les propres parts de capital rachetées et de faire figurer au passif une réserve séparée[2]. Sous cet ancien droit comptable, d’éventuelles plus-values étaient en principe imposables[3].

Le nouveau droit comptable entré en vigueur le 1er janvier 2013 a désormais harmonisé la présentation des propres parts de capital dans les livres de droit commercial des sociétés de capitaux avec la réalité économique et les considérations usuelles au niveau international. Dans le bilan, la société fait figurer un montant correspondant à la valeur d’acquisition des propres actions en diminution des capitaux propres (art. 659a al. 4 CO), ce qui est également prévu dans le Titre trente-deuxième du Codes des Obligations sur la comptabilité commerciale (art. 959a al. 2 ch. 3 let. e CO)[4]. Il n’y a pas d’effet sur le compte de résultat, la société ne subit pas de véritable perte[5].

En revanche, l’inscription des propres parts à l’actif n’est plus admise car il ne s’agit pas d’un véritable actif[6]. Ceci est à nouveau confirmé par le Tribunal fédéral, les propres parts rachetées ne constituent pas une valeur patrimoniale effective[7].

Il est ainsi considéré que, lors de rachat de propres parts, la société distribue des fonds aux détenteurs, ce qui entraine un appauvrissement immédiat de la société, mais elle n’acquiert rien en contrepartie[8]. Ceci explique également pourquoi la société ne peut acquérir ses propres actions que si elle dispose librement d’une part de ses fonds propres équivalant au montant de la valeur d’acquisition (art. 659 al. 1 CO), à l’instar de la distribution de dividendes.

Il en résulte ainsi une diminution d’actif (fonds payés) ou augmentation de passif (dette envers les vendeurs), d’une part, compensée par une diminution – au moins temporaire – des fonds propres à travers la réserve négative.

2.2 Traitement comptable de la revente

Comptablement, lors de la remise en circulation d’actions propres, les actifs de la société augmentent, que ce soit en raison d’entrée des fonds d’acheteurs (trésorerie) ou du moins en raison de la comptabilisation d’une créance contre eux.

La réserve négative aux fonds propres disparait, du moins proportionnellement aux propres actions revendues. Elle doit déjà indiquer la source de financement de cette sortie de fonds au moment du rachat[9]. En absence de réduction du capital social, la valeur nominale demeure inchangée, et la société peut financer cette sortie de fonds par des réserves ouvertes ou des réserves issues d’apports en capital. En conséquence, la revente d’actions propres équilibre le bilan, en ce sens que la disparition de la réserve négative augmente les fonds propres, alors que la diminution des réserves servant à financer le rachat (réserves ouvertes ou issues d’apports en capital) est équivalente. Les fonds propres ne changent pas, ils étaient diminués déjà lors du rachat.

En conséquence de ces deux opérations, il y a une augmentation du patrimoine net de la société, ce qui doit se manifester par une augmentation des fonds propres. Une éventuelle plus-value entre le prix d’acquisition et le prix de revente est inscrite directement aux réserves issues d’apports en capital ; inversement, une éventuelle moins-value les diminue, même s’ils ne servaient pas au financement du rachat[10]. Le Manuel Suisse d’Audit admet toutefois qu’en tant qu’opération sur le capital, « une perte ou un gain provenant de l’aliénation de propres parts de capital doit être crédité ou débité directement des capitaux propres (réserves facultatives issues du bénéfice ou réserve légale issue du capital) »[11].

Car le but de la réforme comptable visait à s’aligner sur les pratiques internationales, la solution de la neutralité d’opérations de rachat et revente est approuvée et préférée, ce qui est bien la pratique internationale répandue : « aucun profit ou perte ne doit être comptabilisé en résultat net lors de l’achat, de la vente, de l’émission ou de l’annulation d’instruments de capitaux propres de l’entité »[12].

En l’espèce, la contribuable a bien comptabilisé la plus-value sans incidence sur les résultats, et l’a crédité au compte des réserves issues d’apports. Du point de vue de la conformité avec le nouveau droit comptable, l’Administration fiscale ne la nie pas, ce qui est confirmé par le Tribunal fédéral.

2.3 Quelle importance du droit comptable en droit fiscal ?

Au niveau fédéral, l’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net (art. 57 LIFD), notamment le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent (art. 58 al. 1 let. a LIFD).

Certes l’affaire n’a pas porté sur l’impôt cantonal ou communal, rappelons toutefois qu’il n’existe pas de norme pareille expresse dans la LHID, mais que ce principe de la déterminance s’impose aux cantons à travers l’interprétation de l’art. 24 LHID et les lois cantonales contiennent toutes une disposition semblable, d’application directe[13].

En se fondant prima facie sur le résultat comptable[14] le droit fiscal suisse consacre le principe de la déterminance (Massgeblichkeitprinzip)[15], autrement appelé autorité du bilan commercial qui lie le contribuable et l’administration[16]. Il est vrai que la loi se réfère uniquement aux états financiers établis selon le droit comptable suisse[17] à l’exception de comptes consolidés établis selon des normes internationales[18].

Or, le bilan commercial ne lie l’administration que lorsque les états financiers sont conformes au droit comptable[19]. Comme déjà constaté, l’administration ne remet pas en cause la conformité aux états financiers, le principe de la déterminance lie l’administration, du moins en absence d’évasion fiscale ou d’application d’une règle fiscale correctrice (cf infra).

Contre-argument de l’administration : la règle fiscale correctrice

A son tour l’Administration argumente qu’en application de la règle fiscale correctrice de l’art. 58 al. 1 let. c LIFD il est possible d’imposer la plus-value sur le rachat et la revente, même en absence de comptabilisation de cette plus-value dans le compte de résultat selon le droit comptable. Selon cette disposition, le bénéfice net comprend les produits qui n’ont pas été comptabilisés dans le compte de résultats, y compris les bénéfices en capital (art. 58 al. 1 let. c LIFD).

Effectivement, l’Administration peut procéder au redressement du bénéfice en appliquant les règles fiscales correctrices[20]. Dans cette affaire l’autorité fiscale rappelle, à juste titre, que le droit comptable est orienté sur la protection des créanciers alors que le droit fiscal recherche une présentation qui fasse mieux ressortir le résultat effectif et la capacité économique du contribuable, un principe constitutionnel (art. 127 al. 2 Cst)[21]. Compte tenu de ces objectifs différents, le bénéfice imposable ne peut pas être entièrement orienté sur les dispositions du droit commercial[22], ce qui justifie l’existence des règles fiscales correctrices pour mieux présenter la réalité économique (le bilan fiscal)[23].

Dans cette affaire l’administration précise que « l’avantage financier a été réellement obtenu par la société débitrice grâce à la vente des actions propres et à la plus-value, raison pour laquelle il faut partir du principe qu’il s’agit d’un revenu imposable ».

Selon la Conférence Suisse d’Imposition, le nouveau droit comptable ne modifie pas la pratique fiscale : « aussi bien sur le plan du droit civil que sur celui du droit fiscal, les actions propres sont qualifiées de véritable actif »[24]. Cette opinion doit être rejetée déjà parce que les propres parts ne peuvent plus être comptabilisées à l’actif, mais du moins en raison de la cohérence – si le rachat et la sortie des fonds est traité, conformément à la volonté du législateur, comme une liquidation partielle n’entrainant aucune charge déductible, l’entrée des fonds ne constitue qu’un apport neutre (art. 60 let. a LIFD)[25].

Le Tribunal fédéral se prononce sur l’interprétation de l’art. 58 al. 1 let. c LIFD en tant que règle fiscale correctrice dans le cas d’espèce. Il retient que la norme ne vise que les « produits qui n’ont pas été comptabilisés dans le compte de résultat » et par conséquent elle n’est d’aucune application en absence de « produit ». Selon le Tribunal fédéral, s’il n’y a pas de valeur patrimoniale en droit commercial, les actions propres n’étant pas des actifs et ne constituant pas un patrimoine effectif de la société, il n’est pas possible de parler du « gain en capital » lors de la réémission de ses propres droits de participation.

L’Administration invoque aussi le traitement fiscal des détenteurs de parts au niveau d’impôt sur le revenu, respectivement l’impôt anticipé. Or, c’est à juste titre que le Tribunal énonce que « du point de vue de la systématique fiscale, entre l’impôt anticipé et l’impôt sur le revenu auprès d’une partie des détenteurs de parts, d’une part, et l’impôt sur le bénéfice auprès de la société de capitaux, d’autre part, semble trop faible pour que l’art. 20 al. 1 let. c LIFD apparaisse comme des dispositions de correction pour l’impôt sur le bénéfice et pour que le principe de la déterminance selon l’art. 58 al. 1 let. a LIFD soit rompu ».

Excursus : l’importance de l’exonération d’apports (art. 60 let. a LIFD)

La contribuable n’oublie pas d’avancer un argument selon lequel la réémission de propres parts constitue une opération d’apport par les détenteurs de parts, et par conséquent doit être exonérée. Effectivement, ne constituent pas un bénéfice imposable les apports des membres de sociétés de capitaux, y compris l’agio et les prestations à fonds perdus (art. 60 let. a LIFD).

Cette disposition permet de mieux respecter le principe de la capacité économique du contribuable car seul le bénéfice lié à l’activité de l’entreprise est soumis à l’impôt[26], à l’exclusion des prestations provenant « de l’extérieur »[27]. Ce principe du Totalgewinn est juxtaposé au principe de la déterminance.

Cette norme constitue aussi une règle fiscale correctrice[28]. Rappelons que selon le cas de telles règles peuvent être constitutives, en ce sens qu’elle se départent du droit comptable en faveur

ou en défaveur du contribuable, mais aussi purement déclaratives, en ce sens qu’elles ne font que reprendre les règles du droit comptable[29]. Tel est bien le cas ici. Dans la mesure où aucun résultat n’a été comptabilisé, et cela conformément au droit commercial en vigueur, et compte tenu d’absence d’application de l’art. 58 al. 1 let. c LIFD, cet argument, certes logique, n’est pas nécessaire.

En revanche, l’art 60 let. a LIFD devrait trouver application et permettre d’exonérer la plus-value lors de la revente même si elle est comptabilisée sur le compte de résultat. En effet, certains auteurs admettent la comptabilisation de la plus-value avec conséquences sur le résultat comptable, tout en admettant que cette opération doit être fiscalement neutre en application de l’art. 60 let. a LIFD[30]. Dans cette affaire le Tribunal fédéral le rappelle également. Cette solution doit être acceptée car, inversement, une moins-value comptabilisée dans le résultat serait ainsi une charge injustifiée (art. 58 al. 1 let. b LIFD)[31].


[1] ATF 110 II 293 consid. 3.

[2] FF 1983 II p. 806 ch. 208.23.

[3] CR-LIFD 2017, ad art. 57, 58, N 115 ss.

[4] ATF du 14 novembre 2019, 2C_119/2018, consid. 3.2 ; FF 2008 p. 1660 et 1706.

[5] Luchsinger M. S./Montavon P., L’acquisition par la SA et la Sàrl de leurs propres parts de vapital – 2e partie Aspects fiscaux, p. 298, 299.

[6] RDAF 2016 II 231, 239 ;

[7] ATF du 14 novembre 2019, 2C_119/2018, consid. 3.1 ; ATF du 5 octobre 2021, 2C_891/2020, consid. 3.3.2.

[8] ATF 136 II 33, consid. 3.2.

[9] Bucheler R., Abrégé du droit comptable, 1e éd., p. 80 ; Luchsinger/Montavon, p. 298, 300.

[10] Luchsinger/Montavon, p. 298, 306 s. ;

[11] Manuel Suisse d’Audit 2014, 244.

[12] Cf. norme IAS 32.33.

[13] Rouiller N./Bauen M./Bernet R., La société anonyme suisse, 2e éd., p. 783 ss., n° 2301 ; Kommentar DBG, ad art. 58 N 10.

[14] Oberson X., Le droit fiscal suisse, 5e éd., § 10 N 1.

[15] ATF du 9 août 2011, 2C_429/2010.

[16] ATF 137 II 353, consid. 6.2 ; ATF du 31 août 2015, 2C_775/2014, consid. 6.1. et 7.1 ; ATF 141 II 83 pr.

[17] Kommentar DBG, ad art. 58 N 8.

[18] Rouiller/Bauen/Bernet, p. 783 ss., N 1060.

[19] Liégeois F., La disponibilité du revenu, 2018, N 534 ; Kommentar DBG, ad art. 58 N 12 ; Oberson, Le droit fiscal suisse, 5e éd., § 10 N 1 ; ATF 141 II 83, 85 ; ATF 137 II 353, 359 ; ATF du 1er octobre 2009 = RDAF 2009 II 570, 573 ; ATF 119 Ib 111, 115 ; RDAF 2002 II 131.

[20] Kommentar DBG, ad art. 58 N 17 ; ATF du 19 décembre 2014, 2C_1218/2013, consid. 3.1. et 7.2.

[21] Erhenström P., Principe de déterminance, 2016 ;

[22] Kommentar DBG, ad art. 58 N 144 ;

[23] LiÉgeois F., La disponibilité du revenu, 2018, N 534.

[24] CSI, Nouveau droit comptable, 3.

[25] CR-LIFD 2017, ad art. 57, 58 N 125.

[26] ATF du 20 octobre 2014, 2C_634/2014 consid. 5.2.1.

[27] ATAF du 24 juin 2015, A-6982/2013, consid. 3.3.2 ; ATAF du 4 février 2014, A-6142/2012, consid. 5.1.

[28] ATF du 24 octobre 2014, 2C_634/2012, consid. 5.2.3 ; cf. CR-LIFD, ad art. 60 N 12b.

[29] Liégeois F., La disponibilité du revenu, 2018, N 534 ;

[30] Luchsinger/Montavon, 306 s. ;

[31] Luchsinger/Montavon, p. 298, 306 s. ;