Andriy Chubatyuk
Propriété intellectuelle dans les rapports de travail
Les inventions au sein d’une entreprise sont très souvent effectuées par le travailleur engagé par un contrat de travail. L’on part souvent du principe que toute invention du travailleur appartient à l’employeur et ne donne pas de droit à la rémunération supplémentaire. Dans quelle mesure ces convictions générales sont correctes ?
Les inventions que le travailleur a faites et les designs qu’il a créés, ou à l’élaboration desquels il a pris part, dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles, appartiennent à l’employeur, qu’ils puissent être protégés ou non (art. 332 al. 1 CO).
La situation de départ
L’acquisition de la propriété intellectuelle peut être originaire (l’inventeur) ou dérivée (l’acheteur ou le cessionnaire des droits).
Les inventions réalisées par un travailleur dans l’exercice de son activité au service de l’employeur et conformément à ses obligations contractuelles sont appelées inventions de service. Ces obligations peuvent être expresses ou résulter des circonstances, compte tenu des obligations, de la position du salarié ou de ses connaissances particulières.
Les inventions réservées, en revanche, sont occasionnelles ou fortuites et le travailleur n’est pas obligé par le contrat de les créer.
La cession et la réserve de la propriété intellectuelle
Si les inventions de service sont acquises à l’employeur à titre originaire ex lege (art. 332 al. 1 CO), rien ne l’empêche d’en céder le droit au travailleur par contrat ou renonciation ultérieure.
En revanche, les inventions réservées appartiennent au travailleur à titre originaire, mais l’employeur peut se réserver le droit de les acquérir à titre dérivée (art. 332 al. 2 CO). Dans ce cas le travailleur est obligé de le communiquer à l’employeur par écrit, et ce dernier s’engage à confirmer par écrit dans les 6 mois s’il entend acquérir ou lui laisser l’invention ou le design (art. 332 al. 3 CO). Le travailleur est aussi obligé de garder le secret des inventions et de collaborer à la procédure de dépôt d’une demande de brevet ou d’enregistrement.
Toutefois, un contrat de travail ne saurait obliger le travailleur à céder les inventions qui n’ont aucun lien avec les rapports de travail. On parle alors des inventions libres.
Obligation de rémunérer
Sauf disposition contractuelle contraire, le travailleur n’a aucun droit à la rémunération pour les inventions de service qui appartiennent à l’employeur à titre originaire. Cette approche est justifiée parce que l’obligation de réaliser des inventions fait partie des obligations du travailleur, soumise en soi à la rémunération par le salaire usuel, et parce que le travailleur est rémunéré pour les efforts sans le résultat. C’est en effet l’employeur qui assume le risque de l’échec et, en corollaire, tire profit de son succès.
Les inventions réservées, en revanche, donnent droit à une rémunération équitable (art. 332 al. 4 CO). Cette rémunération ne constitue pas un prix de cession de la propriété, mais bien une indemnité équitable pour remettre le travailleur dans la situation comme s’il était chargé de faire de telles inventions et recevait ainsi une rémunération plus considérable.
Dans cette dernière hypothèse les parties peuvent toutefois convenir par écrit une absence d’indemnité additionnelle, mais une telle clause n’est valable que lorsque l’employeur parvient à prouver que le salaire du travailleur aurait été nettement plus bas en absence de telle invention, et que la différence est si importante qu’elle correspond à une indemnité équitable.
Droit de préemption sur les inventions libres
En présence des inventions libres dont le travailleur conserve la propriété, il est généralement considéré qu’en raison de son devoir de fidélité envers l’employeur, le travailleur doit proposer la cession rémunérée à l’employeur avant permettre l’exploitation de l’invention par un tiers. Dans ce cas le prix d’achat doit correspondre aux réalités du marché.
Les droits d’auteur
Le Code des Obligations ne régit pas tout type de la propriété intellectuelle. En effet, l’analyse précitée ne concerne que les inventions (qu’elle soient brevetables ou non) et les designs industriels.
A titre originaire, l’auteur est la personne qui a créé l’œuvre (art. 6 LDA), ce qui est toujours le salarié. L’employeur n’acquiert la propriété des droits d’auteur – même si le travailleur est obligé de les créer par son contrat de travail – que lorsque le travailleur les cède à l’employeur. Une telle clause peut être valablement insérée dans le contrat de travail.
À défaut d’une clause contractuelle sur la cession des droits d’auteur, il faut interpréter le but du contrat. En effet, une obligation de cession tacite peut être admise lorsque la tâche du salarié consiste justement à créer une ou plusieurs œuvres pour l’employeur.
Exceptionnellement, la loi prévoit qu’un logiciel créé par le travailleur dans le cadre de son travail – ce qui constitue souvent un droit d’auteur – appartient à l’employeur (art. 17 LDA).
Recommandations
Observez les recommandations suivantes pour mieux protéger la propriété intellectuelle de l’entreprise:
- Indiquez dans le contrat de travail si le travailleur est obligé ou, au contraire, qu’il n’est pas obligé de réaliser les inventions ou créer des œuvres.
- Indiquez une clause de réserve de la propriété intellectuelle créée en lien avec le contrat de travail, même en temps libre du travailleur.
- Précisez si la propriété intellectuelle est transférée à l’entreprise ou si elle n’en acquiert qu’une licence d’exploitation.
- Si l’entreprise se réserve la propriété intellectuelle, déterminez si le travailleur est en droit de continuer son utilisation (à travers une licence) et quelles restrictions d’utilisation peuvent s’appliquer (p.ex. ne pas donner licence aux concurrents).
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